lundi 29 février 2016

Alexis était un petit paysan heureux.



J'ai fait la connaissance d'Alexis au début des années 80. Il travaillait la terre avec son frère plus jeune que lui. Ils vivaient dans la ferme où ils étaient nés. Tous deux ressemblaient aux personnages du film "La soupe aux choux." Ils étaient tous deux enfants lorsque leur père était mort à la guerre de 14/18. Leur mère s'était alors retrouvée seule à la tête d'une propriété de 20 ha. Elle ne s'était pas remariée. Avec l'aide de ses deux jeunes fils, elle avait fait face. Les deux frères ne se sont jamais mariés. Lorsque leur mère est morte, ils ont arrêté la vieille pendule qui se trouvait dans la cuisine à l'heure de sa mort. Elle indiquait l'heure juste deux fois par jour.

Il y avait autour de l'habitation principale des poules, des canards, des pintades, des oies, des chiens, des chats, tous en liberté. Il y avait une mare proche de la maison avec de l'eau toute l'année. Dans l'étable, il y avait quelques vaches et de  temps en temps des veaux sous la mère. Dans un abri très rudimentaire, il y avait des moutons et à la saison des agneaux. Il y avait bien entendu une porcherie avec deux cochons. Je n'ai pas souvenir d'y avoir vu des porcelets. Il y avait un jardin potager très bien clôturé pour que les animaux de la ferme en liberté ne puissent pas y pénétrer ainsi que les lapins sauvages et les chevreuils. Les lapins domestiques quant à eux se trouvaient dans un clapier dressé contre un mur à l'abri du mauvais temps. Les chevreuils n'avaient pas trop intérêt à s'approcher de la ferme. Un coup de fusil à l'aube ou au crépuscule ne posait aucune problème de conscience à Alexis. La ferme était loin de la ville, loin du village, loin de route, au bout d'un long chemin bien mal empierré. Il était maître chez lui.

Lorsque j'ai fait connaissance d'Alexis à la fin des années 80, il travaillait ses terres avec un vieux tracteur. Il en assurait l'entretien lui-même ainsi que les petites réparations. Il faisait un peu de blé, un peu de maïs, son foin, sa paille. Il faisait son vin et son eau de vie. Il possédait un très joli bois de chêne assez grand pour lui assurer tous les ans le bois de chauffage dont il avait besoin. Il y cueillait des cèpes à la saison. Il y tuait quelques palombes à chaque automne. Tout ce qui était produit sur leur ferme et qui n'était pas consommé par les deux frères était vendu à des particuliers de la main à la main. Alexis connaissait beaucoup de monde. Il était sociable, intelligent, cultivé. Il avait été reçu au certificat d'étude parmi les meilleurs de son canton. Toute sa vie il s'est cultivé par la lecture et  par ses rencontres. Il n'hésitait pas à poser des questions aux personnes avec qui il discutait. Il n'hésitait pas à demander des livres aux personnes dont il était proche. Il aimait plus particulièrement les livres d'Histoire. Il connaissait beaucoup de chansons et de poésies par cœur.

Au moment de la première guerre du Golfe, je suis allé le voir chez lui et je lui ai demandé ce qu'il allait se passer. Il m'avait dit "Ah! petit si nous n'avons plus de carburant pour le tracteur nous sommes dans la merde. Il n'y a plus de bœufs dressés pour labourer, il n'y a plus de chevaux de traits et surtout il n'y plus personne qui sait travailler la terre sans tracteur." Il m'avait alors raconté son départ pour la guerre en 1940. Sa peine de quitter sa mère et son jeune frère de santé très fragile. De les laisser seuls sur la propriété. Il m'avait appris qu'il n'y a pas eu que les hommes jeunes de mobilisés mais aussi les chevaux. Et que cet été là, cet automne là, dans beaucoup de fermes de France les récoltes ont pourri en plein champ. Faute de bras et de chevaux pour les rentrer au sec. Il m'avait appris aussi que dans sa jeunesse il savait labourer avec des bœufs dressés en patois, qui n'obéissaient qu'aux mots en  patois et qui ne faisaient absolument rien si quelqu'un s'adressait à eux en Français.

En 1945 sur la commune où vivaient Alexis et son frère il y avait 45 paysans. En 2015 il reste 5 exploitants agricoles. Alexis est mort en 2008, son frère en  2013. Ils n'avaient pas d'enfants. Un parent éloigné a hérité. Il a vendu les terres agricoles. Il a gardé le joli petit bois et la maison transformée en résidence secondaire louée l'été aux touristes amoureux de vacances bucoliques.

"The harder is the life, the stronger you'll become. The stronger you become, the easier the life will be." Plus dure est la vie, plus fort vous deviendrez. Plus fort vous devenez, plus facile vous sera la vie. Les épreuves de la vie avaient forgé le caractère d'Alexis. Il a su s'adapter aux changements. Il savait apprécier la vie et les bons côtés du progrès.  Il trouvait que la Sécu, la retraite, l'eau potable au robinet de la cuisine, l'électricité, le téléphone, la voiture, le tracteur c'était bien. Il trouvait que faire le bois de chauffage à la tronçonneuse et à la fendeuse hydraulique c'était mieux qu'à la scie et à la hache. Il se désolait de voir partir les jeunes à la ville et quitter la campagne. Son enfance et sa jeunesse dures et difficiles l'ont probablement aidé à se faire une vie heureuse sur son lopin de terre familial.


Ce qu'il faut de terre à l'homme.

"Ce qu'il faut de terre à l'homme"  est une nouvelle de Léon Tolstoï.  Sur son lopin de terre de Sibérie, un paysan  vit avec sa femme et son fils. Il n'est pas riche mais il subvient aux besoins de sa famille. Il  se sent à l'étroit sur sa petite propriété. « Si seulement j'avais plus de terres, soupire-t-il en regardant par-delà la clôture, je pourrais être tout à fait heureux. » Le diable l'entend et se déguise en colporteur. Il va alors tenter le paysan et l'entraîner dans une quête de toujours plus de terre à travailler. L'histoire se termine mal pour le paysan. Le lecteur apprend à la fin de la nouvelle ce qu'il faut vraiment de terre à l'homme. Le dessinateur français Martin Veyron né à Dax en 1950 vient d'en faire une Bande Dessinée  publiée chez Dargaud Editeur.


 


Cerise est une vache de race bazadaise. Elle est l'emblème du salon de l'agriculture 2016 et de ses affiches. Existera-t-il encore dans trente ans des vaches de race bazadaise?




4 commentaires:

  1. http://nantes.cef.fr/laune/communique-les-eveques-de-louest-soutiennent-les-agriculteurs

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  2. Une belle page d'un temps, qui n'est plus, hélas pour ce monde à qui on doit nourriture, entretien du paysage, vie au prix de leur vie parfois!

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  3. Mon commentaire s'est perdu. Je recommence donc. Alexis comme mon grand-père paternel préférait le monde de leur vieillesse à celui de leur jeunesse. Nous voyons bien que c'est un monde perdu effectivement mais je ne désespère pas. Dans ce monde qui vient et que nous trouvons parfois terrible par certains côtés il y a parfois des initiatives qui font rêver à un monde meilleur tout à fait possible. Voir lien suivant: http://www.ladepeche.fr/article/2016/01/17/2257520-une-journee-sur-l-auto-suffisance-alimentaire.html

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  4. http://www.franceculture.fr/emissions/terre-terre/semences-dans-la-tourmente

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